La vallée des rubis ou l’aventure des mots

« Au lever, j’allais déplier les lattes de teck juste assez pour voir sans être vu. Tandis qu’à l’arrière plan, sur les monts et collines, les pagodes dégageaient des brumes leurs étincelantes aiguilles d’or, une épaisse et fluide substance laiteuse couvrait encore le lac. Je n’ai jamais surpris au dessus de ses ondulations les sorcières dont, à Rangoun, le jeune Birman, diplômé de la Sorbonne, m’avait décrit les danses enchantées. Mais je concevais qu’il ait pu découvrir des figures magiques dans les mouvements de cet étrange brouillard, car il était dense, fluide et vivant. Les spirales, les arabesques bleutées qui s’élevaient de ses nappes profondes demeuraient longtemps dans l’air et leurs formes, alors, étaient à demi humaines. »

Mogok, la citadelle du Rubis de Birmanie, vue depuis les toits des pagodes
Photograph © Maurice Joseph, ARPS

« Maung Khin Maung avait sorti de l’une des poches de son casaquin un petit sachet de papier blanc. Il le posa sur la table et, sans presque y toucher de ses doigts incroyablement fins, déliés et sensitifs, l’ouvrit. Au milieu de la feuille blanche apparut soudain, comme par un tour d’illusioniste, le premier rubis que j’ai vu à Mogok. »

La Vallée des rubis, Joseph Kessel, 1955.

Joseph Kessel est né aventurier. Il voit le jour à Clara en Argentine, pars pour la France où il effectue ses études secondaires au lycée Massena de Nice, puis poursuit des études de littérature à Paris. Il fait ses débuts au Journal des débats, prestigieux quotidien de la capitale.

La Première Guerre Mondiale l’arrache à ses occupations et il s’engage dans l’aviation. Au sortir du conflit, il intègre le corps expéditionnaire français pour la Sibérie. Il revient en France par la Chine et l’Inde. C’est son premier tour du monde. Il a vingts ans.

Suivrons en vrac l’Irlande en rébellion ; l’Allemagne dan

Les mines de rubis de Mogok - www.ruby-sapphire.com
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s le brasier nazi ; les débuts de l’aéropostale aux côtés de Mermoz et Saint Exupéry, découvrant ainsi le Sahara ; la naissance de l’État d’Israël (dont Kessel obtient le visa numéro 1). Puis de nouveau l’Afrique, la Birmanie (voyage où il puise la matière romanesque de La vallée des rubis), l’Afghanistan.

La France des lettres lui rend hommage en 1962, année où il rentre à l’Académie. Son discours empreint d’éloquence et d’humilité illustre à merveille la personnalité atypique de cet aventurier, journaliste, romancier, juif russe naturalisé français, décoré de la Légion d’honneur et de deux Croix

de guerre :

« […] Qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale… vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rie

n à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la F

rance. »

Curieusement, puisque je n’avais pas travaillé sur Le Lion au lycée, La vallée des rubis est le premier roman que j’ai lu de Kessel. L’écriture est précise, nette mais sans être austère grâce à des descriptions presque palpables et d’une belle force poétique.

En 1996, la république du Myanmar a ouvert aux étrangers cette vallée interdite pour la refermer 3 ans plus tard. Depuis il n’est plus possible pour des non birmans de visiter la vallée des rubis. La zone, à quelques heures de Mandalay, est un haut lieu de convoitise, de banditisme et de trafics en tout genre.

Les rubis bruts de la Vallée de Mogok - www.allmyanmar.com
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La fraîcheur du témoignage de Kessel est attestée par de nombreux chanceux qui se se risqués jusque là. Nice and cool. Fraîcheur et délices, nous dit Julius, l’un des personnages… A défaut de vous y rendre, plongez dans l’ouvrage sur la Haute-Birmanie en compagnie de deux lapidaires et d’un narrateur qui ressemble fort à Kessel.

On raconte que les diamantaires De Beers craignirent même que la production sublime de rubis couleur sang-de-pigeon des mines de Mokog mette en péril la suprématie des diamants du Transvaal (aux alentours de Pretoria, Afrique du Sud).

Pourquoi le rubis aurait-il pu détroner le diamant ? Parce que le rouge est la couleur de la vie, et ce fut même le synonyme de « couleur » tout court jusqu’à une époque pas si reculée.

Annie Mollard-Desfour dans son Dictionnaire du Rouge précise que cette couleur, « la plus vive […] entretient un rapport privilégié avec l’éclat, la lumière, et nombreuses sont les nuances qui traduisent à la fois ces deux éléments. […] Le rouge a aussi un lien étroit avec le beau… Peut-être pour des raisons symboliques, peut-être aussi pour des raisons historiques de techniques tinctoriales : la couleur rouge, étant autrefois la plus stable et donc la plus belle des couleurs, a été liée à l’apparat, et la robe rouge _la plus belle des robes_ fut, en France, celle du mariage jusqu’à la fin du XIXe siècle. Certaines langues attestent ce lien étroit du rouge avec la beauté, ainsi en russe, krasny signifie à la fois rouge et beau. »

Couverture du livre la vallée des rubis
blog.ruedavril.fr

Cet article peut vous sembler un peu foutraque mais j’aime les romans d’aventure, le rouge est ma couleur préférée tandis que je voue un culte à la lumière diffractée des pierres précieuses depuis qu’à l’âge de 6 ans j’ai dérobé le solitaire de ma mère pour aller me pâmer en public dans la cour de récréation un jour de Kermesse.

Quels sont vos romans d’aventure favoris ? Qu’avez-vous pensé de La vallée des rubis ?

2 réflexions sur « La vallée des rubis ou l’aventure des mots »

  1. Si vous voyagez à Rangoon, vous trouverez facilement cet ouvrage à l’étal des marchands de rue, avec une autre œuvre de George Orwell, Une histoire Birmane! Ce sont deux precieux compagnons de voyage quand vous enfilez les 14heures de bateaux pour rejoindre Mandalay en partant de Bagan.

Ajoutez votre grain de sel !